La Carazette des marchés
Décembre 2024
Auteurs : par Camille Magdelaine et Yohann Derbyshire
Le Made in America, à quel prix ?
Les droits de douane reviennent au-devant de la scène avec le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Ces mesures, au cœur de son programme, visent à redéfinir les relations commerciales internationales en réinstaurant un protectionnisme marqué. Mais leurs implications, tant pour les États-Unis que pour l’économie mondiale, soulèvent de nombreuses questions.
Pendant une grande partie de son histoire, les États-Unis ont favorisé une politique protectionniste. De la guerre de Sécession jusqu’en 1933, les droits de douane élevés étaient la norme. Cette approche a été progressivement abandonnée à partir de 1934 au profit d’un commerce plus libéral, stabilisant les taxes sur les importations autour de 5% au début du XXIᵉ siècle, en ligne avec les autres grandes économies mondiales.
Donald Trump, lors de son premier mandat (2017-2021), a initié un tournant en augmentant significativement les droits de douane sur les produits chinois. Aujourd’hui, il propose d’aller encore plus loin. Son programme prévoit des taxes de 10 à 20% sur la quasi-totalité des importations et des droits atteignant 60% pour les produits en provenance de Chine. Dans certains secteurs stratégiques, comme l’automobile ou l’équipement agricole, des droits de 200% pourraient être appliqués aux produits fabriqués au Mexique, dissuadant les entreprises de délocaliser.
Cette stratégie s’appuie sur des objectifs clairs : réduire les déficits commerciaux, rendre les produits importés moins compétitifs, et encourager la production locale. Pour Donald Trump, ces mesures sont une arme économique et politique, censée stimuler le « made in America » et dynamiser l’emploi manufacturier. L’un des secteurs visés est notamment l’industrie automobile, avec pour objectif de protéger des entreprises américaines telles que Jeep ou General Motors, par exemple.
Si aux États-Unis, certains secteurs pourraient bénéficier à court terme de ce protectionnisme, rendant leurs produits locaux plus compétitifs, l’impact global pour l’économie américaine s’annonce mitigé. Certains économistes anticipent une hausse du coût de la vie suite à ces mesures estimées entre 3 et 4% en lien avec la hausse des prix des biens importés. L’appréciation du dollar, causée par la réduction des importations, pourrait également pénaliser les exportations américaines, rendant leurs produits moins compétitifs sur les marchés mondiaux.
Les implications de ces mesures ne s’arrêtent pas aux frontières américaines. La Chine, principale cible des taxes, pourrait réagir avec des sanctions économiques, tout comme l’Union européenne. Une escalade des tensions commerciales entraînerait un effet domino à l’échelle mondiale. En Europe, les secteurs du luxe, des vins et spiritueux, et des cosmétiques seraient particulièrement vulnérables. Des entreprises françaises comme LVMH et Kering (dont leur chiffre d’affaires s’établit respectivement à 22% et 18% aux Etats-Unis), déjà fragilisées par le ralentissement de la demande chinoise, pourraient subir une nouvelle baisse de leurs revenus. Pour rappel, la France a exporté en 2023 pour 45,2 milliards de produits vers les États-Unis (sur un total d’environ 600 milliards d’euros d’exportation).
Le protectionnisme de Donald Trump repose sur une promesse ambitieuse : réindustrialiser les États-Unis et réduire leur dépendance aux importations. Si certains électeurs américains, notamment ceux des régions industrielles, soutiennent ces mesures, le secteur privé reste sceptique. La Fédération nationale du commerce de détail, qui inclut Walmart et d’autres grandes entreprises totalisant près de la moitié des volumes de fret maritime, prévoit des risques de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et une aggravation de l’inflation. Au-delà des impacts économiques, ces politiques pourraient isoler les États-Unis sur la scène internationale et remettre en cause les estimations du marché sur les baisses de taux attendues outre-Atlantique.
Les décrochages boursiers : comprendre et anticiper une réalité incontournable
Malgré une volatilité globale des marchés inférieure aux moyennes historiques, les investisseurs font face à une hausse des décrochages boursiers sur des titres spécifiques. Ces fluctuations soudaines et spectaculaires des cours peuvent fortement perturber la composition des portefeuilles. Dans ce contexte, il est essentiel de comprendre les causes de ces mouvements, de maîtriser les risques associés et de mettre en place des stratégies d’investissement adaptées.
Des exemples marquants qui illustrent la tendance
En 2023, plusieurs grandes entreprises ont connu des chutes spectaculaires :
- Alstom : une baisse de -37,6 % en octobre après une révision de ses prévisions de flux de trésorerie.
- Worldline : -59,2 %, un effondrement après des résultats inférieurs aux attentes lors d’une séance de bourse en octobre 2023.
- Sanofi : -19 % après l’annonce de l’abandon de son objectif de marge opérationnelle lors d’une séance de novembre 2023.
En 2024, d’autres dossiers rencontrent les mêmes chutes:
- Bayer : une chute de -27,8 % en octobre après des révisions à la baisse de ses prévisions de bénéfices.
- Kering : -26,3 %, un déclin à la suite de résultats décevants, notamment en raison d’une baisse des ventes de Gucci.
- Stellantis : -21,5 % après une révision négative des prévisions de production et des marges dans un contexte de ralentissement de la demande
Ces exemples illustrent une tendance globale : les investisseurs réagissent de plus en plus violemment aux annonces perçues comme décevantes.
Quelles sont les causes de ces décrochages ?
- Résultats financiers décevants
Dans sept des dix plus grands décrochages de 2023, une publication de résultats en deçà des attentes a déclenché les ventes massives. - Annonces stratégiques et contextuelles
Certaines annonces stratégiques, telles que des plans de restructuration ou des offres publiques d’achat (OPA), provoquent des réactions immédiates. Les grandes capitalisations, en particulier, subissent une pression accrue, car elles concentrent une part disproportionnée des indices boursiers notamment aux États-Unis. - Des valorisations élevées
Le ratio cours/bénéfices (P/E) des 500 plus grandes entreprises américaines est de 25 années de bénéfices, un niveau élevé qui amplifie la sensibilité des marchés aux déceptions. Pour l’EuroStoxx 50, ce ratio reste plus modéré à 14, mais la dynamique reste similaire. - Finance comportementale
Les habitudes des nouvelles générations d’investisseurs diffèrent considérablement de celles de leurs aînés. Selon une étude de la Bourse de New York (NYSE), la durée moyenne de détention d’une action en portefeuille était de 5 ans en 1975. Elle est tombée à 2 ans dans les années 2000, pour n’atteindre aujourd’hui que 10 mois.
L’accès facilité à l’information via Internet et les réseaux sociaux a profondément transformé notre approche de l’investissement, tant en termes de gestion des portefeuilles que de perception du long terme. - Facteur ESG
L’intégration des facteurs ESG, notamment l’analyse des controverses, permet de détecter les risques éthiques, juridiques ou de réputation susceptibles d’affecter la performance d’une entreprise. Lorsqu’une société est impliquée dans une controverse majeure, les investisseurs sont incités à réduire leur exposition pour limiter les pertes potentielles. L’adoption croissante de ces critères, soutenue par des évolutions réglementaires ou des attentes renforcées, pousse désormais les gérants de portefeuilles à exercer une pression vendeuse plus systématique, là où ces considérations étaient moins prégnantes auparavant.
Les mécanismes pour contenir la panique
Lors des chutes rapides, les marchés activent des coupe-circuits pour suspendre temporairement les échanges et calmer les tensions :
- Aux États-Unis (NYSE) :
- Niveau 1 : Suspension de 15 minutes si le S&P 500 perd 7%.
- Niveau 2 : Suspension de 15 minutes en cas de baisse de 13%.
- Niveau 3 : Fermeture du marché pour la journée si la baisse atteint 20%.
- En Europe (Euronext) :
- Les suspensions sont déclenchées pour des variations rapides (5 à 10%) sur des titres spécifiques ou des indices.
- Objectif : éviter les paniques et garantir des transactions ordonnées.
Ces mécanismes ont été activés à plusieurs reprises, notamment en mars 2020 lors de la crise sanitaire. En dehors de la pandémie, nous n’avons pas connu de variation aussi forte sur une période d’un jour.
Quel rôle pour les différents acteurs ?
Les phases de décrochage révèlent des comportements distincts :
- Les sociétés de gestion institutionnelles augmentent les ventes massives pour limiter les pertes.
- Les investisseurs particuliers, souvent plus longs termes, jouent un rôle stabilisateur en achetant à bas prix.
Pour l’investisseur individuel, ces dynamiques appellent à une gestion prudente et diversifiée.
Comment s’adapter à cette nouvelle normalité ?
Les décrochages boursiers ne sont plus des anomalies ; ils s’inscrivent dans une réalité structurelle, renforcée par :
- Les taux d’intérêt élevés, incitant les réallocations vers des actifs moins risqués.
- La gestion passive (tracker ETF), qui accentue les mouvements suiveurs.
- Une incertitude macroéconomique et géopolitique élevée, amplifiant la volatilité.
Pour l’investisseur, il est essentiel de :
- Diversifier son portefeuille : privilégier des secteurs et régions différents pour atténuer les risques.
- Adopter une perspective long terme : les fluctuations à court terme offrent souvent des opportunités d’achat.
- Analyser les fondamentaux : se concentrer sur les performances réelles des entreprises plutôt que sur les fluctuations de marché.
La volatilité comme nouvelle norme
Les décrochages boursiers traduisent un environnement plus complexe et incertain. Loin de devoir être redoutés, ils doivent être compris et intégrés dans une stratégie réfléchie. En adoptant une approche rigoureuse, les investisseurs peuvent non seulement protéger leurs actifs, mais aussi tirer parti des opportunités qu’offre cette volatilité croissante.