La Carazette des marchés
Novembre 2023
L’Intelligence artificielle : ambivalence entre innovation et régulation ?
Par Camille Magdelaine
Le 1er novembre, Microsoft a lancé Copilot 365, un outil d’Intelligence Artificielle (IA) générative très attendu, en partenariat avec ChatGPT. Ce nouvel outil permettra sur les logiciels de la suite bureautique Microsoft (Word, Excel, PowerPoint, Outlook et Teams) de rassembler des informations, résumer des documents et extraire des données. Concrètement, Copilot 365 pourra générer automatiquement vos présentations PowerPoint, rédiger et synthétiser vos emails ou encore prendre des notes lors de vos réunions Teams. Bien que sa disponibilité soit momentanément réservée aux grandes entreprises (à un coût d’environ 30 euros par mois par utilisateur), certaines études estiment que Copilot 365 pourrait attirer plus de 6,9 millions de clients d’ici la fin de 2024 et ce rien qu’aux États-Unis.
Cette avancée majeure pourrait engendrer d’importants gains de productivité au sein des entreprises. D’après une étude publiée en 2023 par le cabinet EY, 65 % des directeurs généraux considèrent que l’IA représente une chance d’optimiser les opérations et de produire des résultats bénéfiques pour la société. Plus globalement, l’IA est vouée à révolutionner plusieurs domaines d’activités et métiers comme nous le constatons déjà dans la santé.
Néanmoins, si les lancements récents de plusieurs outils ayant recours à l’IA suscitent un fort intérêt de la part des acteurs qui souhaitent capter les bénéfices économiques et sociétaux de cette révolution, de nombreuses inquiétudes émergent à ce sujet.
Dans les vices cachés potentiels de l’IA, se trouvent par exemple la réduction des barrières à l’entrée pour les acteurs non étatiques dans la création d’armes chimiques, biologiques et nucléaires. Des risques de cyberattaques, de piratage de données et de désinformation sont également présents.
À l’approche du tout premier sommet international sur la régulation de l’IA au Royaume Uni, le G7 exhorte les leaders de l’industrie à instaurer des mesures de précaution pour garantir une intelligence artificielle « sûre, sécurisée et digne de confiance ». L’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, ainsi que l’Union européenne ont alors approuvé un code de conduite, proposant 11 recommandations non contraignantes. Jusqu’à présent, chaque région avait une approche réglementaire qui lui était propre. Pour faire face à ces défis, le groupe recommande diverses mesures, notamment des tests systématiques des modèles d’IA avant leur déploiement, l’organisation de compétition de détection de failles par des tiers, la transparence des rapports et le développement d’outils de sécurité robustes.
Le G7 rassemble à la fois des pays qui ont donné naissance aux géants de l’IA, tels que les États-Unis, et d’autres qui accusent un certain retard, à l’image de l’Italie. L’objectif reste néanmoins commun, l’administration Biden partageant la vision de réguler ce phénomène tout en préservant l’innovation. Les pionniers de l’IA, tels qu’OpenAI et Google, sont également conscients des risques systémiques associés. Plusieurs d’entre eux ont même exprimé leur soutien à la régulation, voire à une pause temporaire dans son développement afin de mettre en place les garde-fous nécessaires malgré des investissements perpétuels dans des modèles toujours plus performants…
Le Bitcoin une nouvelle fois sous les projecteurs avec la demande d’ETF au comptant de BlackRock
Par Camille Magdelaine
Au cours des dix dernières années, la Securities and Exchange Commission (SEC) a rejeté toutes demandes d’ETF sur le Bitcoin au comptant. Néanmoins BlackRock, qui gère la plus grande famille d’ETF aux États-Unis via sa filiale iShares avec 4 billions de dollars d’actifs sous gestion, a déposé une demande d’approbation le 15 juin. Cette dernière suscite l’espoir que la SEC pourrait finalement donner son accord.
Qu’est-ce qu’un ETF Bitcoin au comptant ?
Pour rappel, un ETF (ou Exchange Traded Funds) est un fonds indiciel négocié en Bourse qui suit l’évolution d’un indice boursier en répliquant à la hausse comme à la baisse le cours de cet indice. Jusqu’à présent la SEC n’a approuvé depuis 2021 que les ETF liés aux contrats à terme du bitcoin, laissant comme seule option pour les investisseurs américains pour s’exposer à la classe d’actif (en dehors de son achat direct), le recours aux contrats à terme, aux options et autres produits financiers dérivés. Notons que le prix au comptant correspond au prix actuel d’un actif, sans spéculation sur son évolution future, et sert lui-même de référence pour déterminer les prix des contrats dérivés.
Les enjeux d’un tel projet sont multiples :
- Pour l’investisseur : Les ETF Bitcoin existants, sur les contrats à terme, sont jugés moins attrayants car ils ne reproduisent pas de manière précise les variations de prix. Les coûts associés au renouvellement des contrats à terme peuvent également réduire les rendements escomptés. Cet ETF marquerait alors l’arrivée des investisseurs institutionnels : bien que le bitcoin ne soit généralement pas une stratégie de gestion de patrimoine approuvée par de nombreux conseillers financiers, un ETF au comptant pourrait être une solution acceptée dans ce contexte.
- Pour le régulateur : L’approbation limitée aux contrats à terme est fondée sur la conviction que ces derniers sont moins susceptibles d’être manipulés, étant donné que le marché repose sur les prix à terme qui sont régulés et encadrés par des institutions financières.
- Pour l’actif : L’approbation de cet ETF pourrait entraîner une hausse significative du prix du Bitcoin dans sa première année, avec un afflux massif de dollars aux États-Unis. Cette perspective suscite déjà un regain d’intérêt (+28% sur le cours du Bitcoin en octobre), les investisseurs pariant sur une approbation imminente par les régulateurs américains. Cette situation rappelle le lancement du tout premier ETF sur l’or aux États-Unis en 2006. Il est à noter que BlackRock pourrait également devenir le principal détenteur institutionnel de bitcoins au monde, entraînant potentiellement un risque de pénurie d’approvisionnement.
La demande d’approbation d’ETF Bitcoin de BlackRock auprès de la SEC se distingue des autres demandes par des règles spécialement conçues pour répondre aux préoccupations du régulateur. Le fonds vise à résoudre des problèmes tels que la sécurité des actifs des clients et le risque de manipulation du marché. Cette initiative a redonné de la confiance au sous-jacent mais le marché restera tout de même spéculatif tant qu’il n’y aura pas une utilisation claire et définie de cet actif.
Déclin démographique : un risque et des opportunités pour les marchés financiers
Par Yohann Derbyshire
Pendant des siècles, la croissance démographique a progressé lentement, franchissant à peine le seuil du milliard d’êtres humains sur Terre en 1800. Cependant, au cours du 20ème siècle, elle a subi une explosion, doublant de 4 milliards à 8 milliards en à peine 50 ans. Les dernières études indiquent un changement imminent. On anticipe maintenant un pic de population en 2040, atteignant 8.5 milliards, avant de connaître un déclin pour atteindre 6 milliards d’ici la fin du siècle.
Quelles sont les causes de ce changement de tendance démographique ? Quels pourraient être les impacts de cette évolution sur les marchés financiers ?
Effectivement, la décélération de la croissance démographique est bien amorcée. Dans les années 60, le taux de fécondité mondial était en moyenne de 5 enfants par femme. Aujourd’hui, ce chiffre est descendu à 2.3 enfants, et l’on estime qu’il atteindra 1.8 d’ici à 2100. Cette baisse significative reflète un changement majeur dans les comportements démographiques à l’échelle mondiale, avec des implications potentiellement profondes sur la structure et la dynamique de la population mondiale.
Estimer ces chiffres demeure une tâche complexe, prenant en compte des variables telles que l’épuisement des ressources naturelles, les conséquences du réchauffement climatique, les migrations et l’âge moyen de la population mondiale. Un exemple frappant de cette évolution est observé en Chine, qui abrite 1/6 de la population mondiale et a connu l’année dernière sa première baisse démographique. Un cas encore plus marquant est celui du Japon, avec ses 122 millions d’habitants en 2023. Malgré les efforts du gouvernement en faveur de la natalité, la population japonaise a diminué de 800 000 personnes cette année, soit 0.65% de sa population, marquant une tendance persistante sur les 14 dernières années. Cette baisse démographique a d’ailleurs contribué à la perte de la troisième place du Japon en tant qu’économie mondiale. Les motifs sous-jacents de cette baisse de natalité sont multiples, incluant l’évolution des rôles de genre, l’urbanisation, le coût de la vie, l’accès accru à la contraception, ainsi que des facteurs sociaux tels que des priorités individuelles plus marquées, des évolutions des valeurs familiales et l’influence de l’éducation.
Selon les Nations Unies, huit pays concentreront plus de la moitié de l’augmentation de la population mondiale d’ici 2050. La plupart de ces pays sont situés en Afrique subsaharienne : Égypte, Éthiopie, Nigeria, Pakistan, Philippines, République démocratique du Congo et Tanzanie. Les implications de ces changements démographiques sur les plans sociaux et économiques nécessiteront une attention particulière et des ajustements stratégiques.
L’unanimité semble régner parmi les experts sur le fait que les pays développés ainsi que l’Asie verront une réduction de leur population, tandis que l’Afrique émergera en tant que grand bénéficiaire de ces changements.
En ce qui concerne la mortalité, les scénarios centraux prévoient une baisse continue. Actuellement, l’excédent annuel de naissances à l’échelle mondiale est de 83 millions, avec 140 millions de naissances pour 57 millions de décès. Les épidémies et les vagues de mortalité passées, bien qu’ayant eu un impact important sur certaines régions, ont eu des conséquences relativement limitées à l’échelle mondiale (VIH : 35 millions, famine en Chine et URSS : plusieurs dizaines de millions, Seconde Guerre mondiale : 80 millions en 5 ans, épidémie de grippe espagnole : 40 à 100 millions). Les études sur les futurs chocs exogènes, tels que le réchauffement climatique, sont difficiles, et les projections les plus pessimistes soulignent les impacts potentiels sur la productivité agricole. Le GIEC indique qu’il serait possible de nourrir la population mondiale au moins jusqu’en 2050, sous réserve d’une certaine sobriété (alimentation plus végétale, moins de gaspillage alimentaire). Nous atteignons ici les limites de ces exercices, car il est ardu d’estimer les impacts d’éléments auxquels les humains n’ont jamais été confrontés.
Ces tendances démographiques ont eu un impact très important sur les marchés financiers dans le passé. Nous pouvons déceler des tendances de fonds assez fortes et facilement prévisibles pour le futur :
- Le vieillissement des populations dans les pays développés entraînera une augmentation des dépenses liées à la santé.
Une population vieillissante tend à avoir une consommation plus modérée et à épargner davantage. - L’urbanisation de la population continuera à être une tendance persistante, nécessitant d’importants investissements dans les infrastructures.
- Une population démographiquement plus faible pourrait induire des changements significatifs sur le marché immobilier, impactés par la demande.
- La croissance démographique de l’Afrique pourrait augmenter sa croissance à contre-courant des zones développées.
En conclusion, il est essentiel de souligner le caractère hypothétique de l’ensemble de ces éléments. La croissance démographique exponentielle passée n’était pas anticipée, et elle résulte largement de la capacité humaine à se réinventer et à innover. Les plus optimistes envisagent d’éventuelles révolutions technologiques qui pourraient amorcer de nouveaux cycles et trouver un équilibre entre une population importante et les défis tels que l’impact climatique. L’intelligence artificielle pourrait être l’une de ces solutions potentielles. Dans ce domaine en constante évolution, l’imagination et l’innovation continueront probablement de jouer un rôle déterminant dans la manière dont nous abordons les défis démographiques à venir.
Le Made in France échos lointain d’un passé glorieux ou renouveau ?
Par Jules Lemière
Le Made in France a connu un déclin significatif depuis les années 60, avec une baisse notable de sa part dans la consommation intérieure. Selon une étude de l’INSEE, la part de la valeur ajoutée française dans la demande intérieure finale a diminué de 11 points entre 1965 et 2019, passant de 89 % à 78 %. Cette baisse est particulièrement marquée dans le secteur manufacturier, où sa part est passée de 82 % à seulement 32 %.
Ce déclin est principalement dû à la mondialisation et à l’expansion du commerce chinois depuis le début des années 2000. La désindustrialisation a entraîné une dépendance croissante envers les importations et une perte progressive de la souveraineté économique de la France. De plus, certaines branches de l’économie française sont devenues vulnérables aux chocs externes en raison de la concentration des fournisseurs et de l’origine géographique des importations.
Cependant, malgré ce déclin, le Made in France pourrait connaître un renouveau. La relocalisation de l’industrie sur le territoire national pourrait être une manne économique pour la France.
En effet, si une usine était relocalisée en France, elle pourrait multiplier par 2 la valeur ajoutée de sa production. Cela créerait une dynamique bénéfique pour les fournisseurs et l’économie locale. Attention cependant à faire le distinguo, car même s’il y a une plus grande valeur ajoutée, les salaires ne sont pas les mêmes en France qu’à l’étranger, ce qui reste un des plus gros freins pour les directeurs de grandes sociétés.
La relocalisation pourrait également entraîner la création d’emplois. Un tel processus pourrait générer de nombreux emplois. De plus, la France se caractérise par une production moins carbonée que ses principaux partenaires économiques. Ainsi, une augmentation de la production nationale pourrait entraîner une hausse des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. La France pourrait ainsi ne pas atteindre ses objectifs de décarbonisation. Il s’agirait cependant d’un moindre mal car son mix énergétique est meilleur que ses voisins européens.
La crise du coronavirus a mis en lumière le rôle clé de la fabrication française, qu’il s’agisse de création d’emplois, de revitalisation des territoires, de préservation des savoir-faire ou de souveraineté industrielle. La pandémie a aussi changé les habitudes de consommation des Français car deux sur trois disent avoir augmenté la consommation de produits tricolores. Néanmoins, un retour massif au Made in France semble difficile car une relocalisation importante de la production sur le sol hexagonal rencontre des difficultés. En effet, le Made in France reste moins compétitif face aux produits chinois et se heurte à la tension croissante de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français.
En résumé, bien que l’aspiration générale soit désormais orientée vers une consommation locale et responsable, les contraintes liées au pouvoir d’achat ne permettent pas d’anticiper une relocalisation importante des industries en France, même en présence de données encourageantes.