L’art est-il un bon investissement ? A première vue, la question semble légitime mais l’on doit, pour mieux y répondre, réduire l’oeuvre d’art à un simple instrument financier.
Il serait alors facile de comparer l’art, en termes de performances, taux de rendement et autres ratios, aux instruments du même type que sont les obligations ou actions basées sur l’analyse financière, alors que l’art ne se résume pas, à proprement parler, à un simple investissement. L’art est en premier lieu, selon nous, un investissement «émotionnel».
« Rien de grand ne s’est produit dans le monde sans passion. » Georg Wilhelm Friedrich Hegel
En nous fondant sur cette définition plus claire, l’on peut mieux faire le lien avec la citation du philosophe allemand Hegel, dont la conception de l’esthétique est bien souvent tenue pour l’une des théories les plus abouties qui aient été produites depuis Aristote. En effet, comment peut-on, sans passion, obtenir un investissement fructueux en constituant une collection d’art ? Tous les grands collectionneurs partagent un dénominateur commun, la profonde passion pour les oeuvres qui les attirent. Pourquoi des collectionneurs avertis attribuent-ils aux oeuvres une valeur qui nous demeure invisible ? Peut-être Hegel voit-il juste, quand il en vient à cerner la raison pour laquelle l’art est un « investissement émotionnel » : « La beauté artistique est la beauté née et deux fois née de l’esprit, et tout comme l’esprit et ses productions sont plus élevés que la nature et ses phénomènes, le beau artistique est, lui aussi, plus élevé que la beauté naturelle. Même, considérée formellement (c’est-à-dire, abstraction faite de son contenu), une idée inutile qui nous traverse la tête est plus élevée que n’importe quel produit de la nature; car en pareille idée, l’esprit et la liberté sont toujours présents. » Aucune grande collection, privée ou muséale, ne s’est jamais constituée sans passion, ceci faisant des oeuvres d’art une classe d’actifs spécifique.
L’évaluation de l’art dans un contexte macroéconomique
Mais comment évalue-t-on l’art ? Comment comprendre que, entre 1985 et 2012, l’index AMR Art 100 a réalisé un taux de rendement annuel moyen de 10 %, quand l’indice boursier MSCI World n’a établi pour sa part, et sur la même période, qu’un taux de 5,9% ? Pourquoi, dans les ventes publiques récentes, de nouveaux records ont-ils été battus ? Qu’est-ce qui rend le marché de l’art si différent de celui où s’échangent les obligations ou actions des sociétés ? En premier lieu, l’art est un outil de diversification efficace, dans la mesure où il est séparé de la structure du capital économique. Pour le dire simplement, le marché de l’art est un marché d’initiés où l’offre est limitée, et la demande fortement liée à l’expansion économique d’un pays. L’accroissement de la richesse mondiale et l’apparition de nouveaux acheteurs privés et institutionnels provoquent une forte demande de ces placements « émotionnels ». L’une des raisons principales des prix record qu’atteignent les produits artistiques haut de gamme en salle des ventes est l’intervention de nouveaux acheteurs venant de pays émergents, qui font monter le prix des oeuvres d’après-guerre et contemporaines considérées comme de très bons investissements.
Pourquoi en est-il ainsi, et en quoi cette comparaison intéresse-t-elle le marché de l’art ?
Celui-ci obéit à une loi de puissance. En mathématique, la loi de puissance est une relation entre deux quantités, dans laquelle l’une d’entre elles est une variable exponentielle de l’autre. Par exemple, le prix d’une oeuvre d’art sur le marché primaire sera moindre, pour une série importante ou plusieurs oeuvres, que pour une oeuvre unique de même taille, utilisant le même medium, se présentant de la même manière et réalisée par le même artiste. Une fois que l’art n’est plus sous le contrôle des « initiés », sa valeur commerciale est déterminée par le principe de l’offre et de la demande, mais elle peut être « manipulée » par les principaux agents de l’artiste, au sens où de nombreuses galeries participeront à des ventes pour maintenir la cote de ceux qu’elles représentent, tout comme une banque peut, un temps, soutenir le cours d’une action après une introduction en bourse. Lorsque nous entendons parler de « grandes variations de prix » sur le marché de l’art, il nous semble que les prix s’y comportent de la même façon que sur le marché financier des options dites « américaines » (options pouvant être exercée à n’importe quel moment). C’est un marché complexe et difficile à évaluer. Dans la mesure où les acheteurs ont le droit d’exercer leurs « options américaines » à tout moment, jusqu’à échéance du contrat, elles sont plus avantageuses que les options européennes, lesquelles ne peuvent s’exercer qu’à terme. De la même manière qu’une vidéo sur Youtube peut soudain attirer des millions de spectateurs, le prix d’une oeuvre sur le marché de l’art peut grimper en flèche à tout moment si l’artiste devient soudain populaire ou « à la mode ». Mais la cote des artistes peut aussi chuter lourdement, comme cela a été le cas en 2008. Ceci implique, pour certains fonds d’art soumis à des clauses de ventes liées, une difficulté à réaliser leurs bénéfices en au bon moment. L’art demeure un « investissement émotionnel » imprévisible, influencé par les changements de modes et tendances.
Par conséquent, comment investir ?
Il est nécessaire de s’appuyer sur des conseils externes disposant de cette expertise du marché de l’art, en raison de la nature très particulière de ce marché, de la variété de ses segments, aussi bien que du risque de contrefaçon. Soit vous êtes suffisamment passionné pour devenir votre propre expert (de nombreux grands collectionneurs le sont devenus), soit vous vous fiez à des experts en art pour vous aider à constituer une collection qui se valorisera sur le long terme. De tels services en matière de conseil en montage de collection sont généralement offerts aux particuliers extrêmement fortunés (UHNWI, acronyme pour « Ultra-high net worth individuals »), qui laissent souvent à leurs propres curateurs le soin de gérer et constituer leurs collections. La persistance de la crise économique actuelle a poussé de nombreux particuliers fortunés à s’orienter davantage vers des actifs tangibles tels que l’or, l’immobilier et les oeuvres d’art. Ces individus fortunés détiennent une part d’« actifs précieux/émotionnels » estimée à 4 milliards de dollars US, c’est-à-dire 9,6%, en moyenne, de leurs valeurs nettes selon le World Wealth Report (rapport sur la richesse mondiale) de Capgemini, en 2012, ainsi que RBC Wealth Management et Barclays Wealth. Ce à quoi nous assistons est le développement d’un nouvelle tendance d’« investissement dans l’art » visant à obtenir des services complémentaires aux services existants fournis par les sociétés de gestion de patrimoine, banques privées, aussi bien que les cabinets d’avocats, spécialisés ou non. De plus, le développement des enchères électroniques a été favorisé par le nombre croissant de sociétés Internet spécialisées dans l’art qui fournissent des « données volumineuses » (Big Data), conférant ainsi une traçabilité plus grande, et donnant plus de latitude au développement du marché de l’art. Il est utile, également, de souligner que l’augmentation des rendements sur le marché de l’art s’assortit d’une volatilité plus faible. Alors que l’indice AMR Art 100 montre un taux de volatilité annuel de 12% de 1985 à 2012, l’indice boursier MSCI World lui, affiche 16%. D’une manière contre-intuitive, ce facteur d’illiquidité génère moins de volatilité. L’ouverture d’un port franc au Luxembourg, ainsi que les accords de commerce entre l’Asie et le Luxembourg favoriseront, sans nul doute, l’activité grandissante du marché de l’art, la nouvelle richesse asiatique entrant en concurrence directe avec l’ancienne richesse européenne. Dans l’histoire du genre humain, l’orientation du marché de l’art a toujours été déterminée par la localisation de l’argent. En ce qui concerne les tendances à long terme, l’on estime que l’Asie-Pacifique (l’exJapon) va devenir, en 2014, la région occupant la deuxième place en matière de richesse, et la première en 2018, mais ceci est une autre histoire.
Le marché de l’art, un secteur à croissance rapide
Le marché de l’art est, sans nul doute, un secteur à croissance très rapide dans la gestion du patrimoine financier privé mondial*. Selon une enquête récente réalisée par le BCG (Boston Consulting Group) – voir son rapport de juin 2014, « Global Wealth 2014 : Riding a Wave of Growth » (« La richesse mondiale en 2014 : portée par une vague de croissance ») – le patrimoine financier privé mondial a augmenté de 14,6% en 2013, pour atteindre un total de 152 milliards de dollars US, l’Asie présentant l’accroissement le plus rapide. Le nombre de grandes fortunes est en hausse, et (pour illustrer la montée de l’art chinois) pas un seul artiste chinois n’était sur la liste des 100 principaux artistes contemporains, en 2002, tandis qu’il y en a 45 dix ans plus tard ; ajoutons que le chiffre d’affaires global du marché de l’art contemporain en Chine représente 25,6% du chiffre d’affaires mondial.
Pour conclure, l’art requiert une solide compréhension de ses mécanismes et une approche spécifique, dans la mesure où c’est principalement un marché d’initiés. Néanmoins, il demeure un outil résilient d’allocation dans la gestion de patrimoine. Il peut permettre de constituer un patrimoine à long terme, avec moins de secousses que sur le marché boursier, tout en procurant le plaisir de posséder un support d’esthétisme, plus précisément, un objet produit par la science de la sensation, de l’émotion, ainsi que le postulait Hegel.
Martin Tixier & Mai Pham-Ngoc.
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Publication le 30/09/2014 par l’observatoire des tendances de l’Art conremporain.
Mai Pham-Ngoc: Fondatrice de Art Heritage Partners. Spécialisée en “Art & Investissements”, elle est diplômée d’un Master de « University of the Arts London ». M.Pham Ngoc a été invitée en tant que conférencière par le Arts Club et la Chinese Business Association sur le thème « L’art comme une marchandise et le marché de l’art chinois ». Bi-culturelle, elle a par ailleurs travaillé en Asie pour un grand groupe de galeries internationales d’art où elle était en charge de la communication et du développement commercial. Depuis Juin 2014, elle dirige le comité Entreprise Création/Revente/Transmission) d’une association constituée de dirigeants, chef d’entreprises et professions libérales. L’objectif est de soutenir & faire rayonner l’entrepreneuriat français.
Martin Tixier: Auteur et fondateur du blog Macronomics lancé fin 2009 portant sur le crédit et les questions macroéconomiques. Martin a travaillé pendant 16 ans dans la finance, dont 12 années à la City londonienne. En 2006, il a participé au Best of Six Sigma Project de la Bank of America; son projet figurait parmi les 15 sélectionnés sur les 1500 proposés à travers le monde. Martin est diplômé de l’ESSEC BBA ainsi que de ISC Paris où il a obtenu son Master. Il a également donné des conférences aux étudiants de 3ieme cycle de l’IAE Lille à propos de la réglementation bancaire, des pratiques comptables et du rôle du crédit dans l’économie.