La Carazette des marchés
Juin 2022
Chine : La croissance chinoise malade après un énième confinement
Par Yohann Derbyshire
Après une année 2020 où la Chine vivait ses heures de gloire grâce à une bonne gestion de la pandémie, l’année 2022 semble plus complexe pour l’empire du Milieu. Après une croissance de 8.1% en 2021, l’objectif 2022 de 5.5% semble complexe à tenir pour le parti communiste chinois. Au menu des problématiques actuelles : une politique zéro Covid persistante bloquant l’économie et les retombées d’une économie mondiale qui s’essouffle.
Le gouvernement chinois mène une bataille pour continuer sa politique de zéro covid, alors qu’à fin mai à peine 15 000 de ses concitoyens sont décédés de l’épidémie. D’après une enquête de la banque Nomura, actuellement 46 villes sont totalement à l’arrêt ce qui représente 25% de la population totale et 35% du PIB chinois.
Hormis un vaccin qui a été prouvé comme inefficace et une population moins vaccinée, les raisons de son confinement semblent se limiter à une obsession politique de contrôle.
Aucun compromis n’est attendu vis-à-vis de cette politique déraisonnable avant le 20ème congrès du parti communiste à l’automne. Ce congrès sera clé pour Xi Jinping afin d’assurer sa réélection rendue possible après un changement de loi lui permettant en 2018 de réaliser un troisième mandat.
Au premier trimestre de l’année, la Chine a présenté une croissance faible de 1.3%.
Mais les indicateurs avancés, donnant une note sur la trajectoire future, sont largement dans des zones de contraction (le PMI Chinois composite à fin avril est à 42.7 après 48.8 en mars).
Le mois de mai ne semble rien préparer de mieux, alors que le déconfinement de Shanghai ne devrait pas intervenir avant le 1er Juin et que Pékin reste sous confinement.
Par conséquent, la cible officielle de croissance pour 2022 (5.5%) semble complexe à tenir avec une prévision de croissance très faible au second trimestre. Il faudrait que le second semestre présente une croissance entre 7 et 8% pour atteindre l’objectif du Parti.
Cependant le pays a quelques armes pour booster sa croissance économique future. La Chine devra utiliser les différents leviers à sa disposition : baisse des taux et augmentation du bilan de sa banque centrale (levier non utilisé pendant la pandémie) ; impulsion via des dépenses publiques ; et détente possible des conditions de crédit octroyées par les banques.
Depuis le début de l’année, plusieurs actions ont déjà été lancées dans ce sens mais sans impact sur la croissance car le pays était à l’arrêt complet.
Côté bourse, il reste difficile pour un investisseur de se rendre compte des difficultés de la Chine depuis le début de l’année. La performance du marché chinois est en ligne avec les autres marchés actions. En réalité, il faut prendre en compte la baisse d’environ 15% depuis le début de l’année ainsi que la sous performance du marché chinois en 2021.
Ainsi, après plusieurs années compliquées pour ce marché émergent, sa valorisation semble attractive. Les actions chinoises se payent à peine 10 années de bénéfices futurs. Cette décote en comparaison des marchés actions (17x pour les US et 13x pour l’Europe) s’explique pour plusieurs raisons. Premièrement, le risque interventionniste du gouvernement chinois reste une préoccupation des investisseurs. Pour rappel, en 2021 il avait nationalisé du jour au lendemain plusieurs sociétés opérant dans le secteur de l’éducation, réduisant à zéro la valorisation de ces sociétés. Un second risque a augmenté en probabilité à la suite de l’annexion de la Russie en Ukraine : le risque d’une invasion chinoise dans la péninsule taïwanaise.
Les investisseurs devront donc encore faire preuve de prudence avant de revenir totalement sur ce marché qui présente encore de l’attractivité sur le long terme. En complément, l’exposition chinoise d’un portefeuille ne se limite pas à des actions chinoises mais aussi à des valeurs exposées majoritairement à la Chine. A titre d’exemple, les acteurs côtés du luxe réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires en Chine : 35% pour LVMH, 38% pour Kering et 33% pour Richemont. Cette dernière a notamment déçu le marché début mai en annonçant une profitabilité dégradée alors que 40% de ses magasins étaient fermés dans le pays. Un confinement qui coûte donc cher !
Twitter : L’oiseau bleu, la dernière lubie d’Elon Musk
Par Chloé Buewaert
Après la révolution de l’industrie automobile avec Tesla, la conquête de l’espace avec SpaceX, un des hommes les plus riches du monde souhaite ajouter une nouvelle corde improbable à son arc.
Prenant des paris plus fous les uns que les autres, Elon Musk a décidé récemment de racheter le réseau social Twitter afin de le retirer de la bourse de New-York. Son ambition est très claire : refaire de Twitter une plateforme qui prône la liberté d’expression, impliquant une quasi-absence de modération. Pour rappel, l’année 2021 avait été marquée par la perte de son utilisateur le plus connu, l’ex-président Américain, Donald Trump, qui avait été censuré de la plateforme.
De plus, certains utilisateurs de Twitter ont pu souscrire à des formules payantes leur permettant d’afficher des NFT en photo de profil. Le patron de Tesla, très actif dans le secteur de la cryptomonnaie, y voit donc un potentiel extraordinaire pour renforcer la communauté “crypto” sur le réseau social.
Twitter reste un des petits acteurs du marché des réseaux sociaux avec 397 millions d’utilisateurs en 2021. En comparaison, Meta (Facebook- instagram) enregistre un nombre de 2,895 milliards d’utilisateurs et ByteDance, la maison mère de Tiktok, 732 millions sur 2021.
Mais le timing se révèle parfait pour Elon Musk. Le fondateur Jack Dorsey cède les rênes de Twitter à son ex-CTO, Parag Agrawal. Ce dernier n’est pas connu du public et n’a pas pris de décision stratégique pour le groupe, ce qui permettrait à Elon Musk de s’imposer comme le visage de marque. Il a tout d’abord pris une participation au capital de 9.2 %, en achetant directement des actions sur le marché. Puis il a annoncé son arrivée au conseil d’administration avant d’y renoncer. Au dernier moment, Elon Musk a surpris le marché en faisant une proposition de rachat de la totalité de Twitter pour 43 milliards de dollars. Le prix proposé par Elon Musk représente une prime de 38 % par rapport au prix de clôture au 1er avril 2022.
Contre toute attente, dix jours plus tard, un premier accord est conclu entre le patron de Tesla et Twitter pour un rachat de 44 milliards de dollars. Pour financer son dernier caprice, Elon Musk a dû vendre 9.6 millions d’actions Tesla. Cette nouvelle a impacté très négativement le cours boursier de son entreprise.
Cet accord a été de courte durée avec le questionnement sur le poids des faux comptes présents sur le réseau social. Il est estimé à moins de 5 % par Twitter alors qu’ Elon Musk l’estime à 20 %. Les questionnements relatifs aux faux comptes ne sont pas nouveaux. Toutefois, la définition varie selon chacun. Twitter détermine si un compte est « humain » ou non. Pour ce faire, il utilise « des données publiques ou privées comme l’adresse IP, le numéro de téléphone ou la géolocalisation ». Le réseau social estime donc qu’un faux compte est un compte qui n’est pas géré par un humain et qui est nuisible.
Une étude conforte cependant l’équipe d’Elon Musk dans son estimation. Les cabinets SparkToro et Followerwonk ont estimé avec une intelligence artificielle 19.50 % de faux comptes.
Cette polémique a mené à la suspension des négociations entre le milliardaire et le réseau social. Les investisseurs de Twitter ont porté plainte contre Elon Musk en l’accusant de manipuler à la baisse le cours des actions pour le racheter à moindre frais.
Le secteur automobile européen en panne ?
Par Alexandre Simon
Le secteur automobile est un secteur clé en Europe. Il y est produit 1 véhicule sur 5 à travers le monde et il représente plus de 8% de la production économique de l’Union Européenne. Il fournit des emplois directs et indirects à près de 13 millions de ses concitoyens. Par conséquent, un choc subi par l’industrie automobile pourrait avoir un impact considérable sur l’économie européenne. Ce secteur représente environ 10 % des exportations de biens de l’UE.
Depuis plus de deux ans, le secteur est frappé par de nombreuses difficultés. La guerre menée par la Russie s’ajoute aux difficultés existantes, même si l’Ukraine et la Russie ne représentent qu’environ 2% de la demande mondiale. Nous distinguons plusieurs risques pour les sociétés automobiles et leurs fournisseurs. D’une part, les actifs présents sur le sol russe pourraient voir leur valeur économique tomber à zéro et d’autre part, l’inflation du prix des métaux précieux et de l’énergie exacerbent les difficultés des chaînes logistiques et de la production de véhicules. En effet, depuis le début du conflit, le prix des matières premières et de l’énergie a connu une hausse spectaculaire : le nickel (pour la fabrication de batterie électrique), l’aluminium (pour la carrosserie), le palladium (pour la fabrication des catalyseurs des pots d’échappement), ou le gaz néon, pourraient devenir nettement plus chers pour les équipementiers et les fournisseurs, s’ils sont accessibles.
Bien que la grande majorité des constructeurs européens a finalement une exposition directe relativement faible à la Russie, nous pouvons souligner le cas de Renault (via la société AvtoVaZ) qui est le plus exposé. La Russie est son deuxième plus grand marché derrière la France avec près de 480 000 véhicules vendus (2021), et représente environ 10% de son chiffre d’affaires. Désormais, les actifs russes de Renault, valorisés environ 2,2 milliards d’euros, ont été saisis par Moscou.
Au risque politique et énergétique s’ajoute une nouvelle fois la pénurie de semi-conducteurs. Selon le cabinet TrendForce, l’Ukraine est à l’origine de plus de 50 % de la production mondiale de néon, gaz critique qui alimente les lasers utilisés pour graver des tranches de silicium. Cette étape appelée lithographie est critique à la fabrication des semi-conducteurs. Le conflit actuel pourrait compliquer davantage la pénurie des semi-conducteurs et ainsi la production automobile européenne. Alors que les plus grands fabricants de semi-conducteurs (foundries) tels que le TSMC et Samsung semblent avoir quelques mois de réserve de ce gaz, l’approvisionnement pour les plus petits acteurs pourrait devenir compliqué à court terme. Des sources d’approvisionnements alternatives existent en Chine, mais le prix de ce gaz aurait déjà quadruplé entre octobre 2021 et février 2022.
En conclusion, la persistance d’une inflation globale élevée pourrait avoir un impact négatif sur la confiance des consommateurs et la croissance en zone euro. Comme de nombreux secteurs cycliques, le secteur automobile a tendance à évoluer en étroite corrélation avec les indicateurs macroéconomiques. Pourtant il semblerait que les investisseurs n’aient pas totalement délaissé ce secteur. Depuis le début du conflit, la performance du compartiment automobile (STX Auto & Parts) ne s’est pas trop éloignée de celle de l’indice européen. La performance du Stoxx 600 Auto est légèrement négative (-2% environ) et celle du Stoxx 600 positive à +3% environ.
La fronde des investisseurs particuliers a eu raison de certains Hedge Funds
Par Romane Barbier
Dans le vocabulaire financier, le terme anglais «hedge» signifie «se couvrir». Ainsi, un hedge fund est un fonds de couverture. Les hedge funds sont des investissements alternatifs utilisant différentes stratégies. Contrairement aux fonds traditionnels, les hedge funds disposent de plus de flexibilité et d’outils pour générer des rendements actifs. Certains sont connus pour avoir une stratégie activiste à l’encontre des entreprises. Ils peuvent utiliser l’effet de levier et des instruments financiers dérivés, mais surtout, ils peuvent décider de prendre la direction opposée du marché en pratiquant la vente à découvert.
L’investisseur utilisera la vente à découvert dès lors qu’il souhaite parier sur la baisse d’un titre. Cette anticipation va l’amener à emprunter ledit titre à un acteur de marché. L’investisseur va ensuite le vendre au prix déterminé au lancement de la stratégie. Par la suite, il rachètera le titre lorsqu’une baisse se sera matérialisée. C’est ainsi qu’il peut générer une plus-value, et ce même lorsque le marché est baissier.
C’est notamment le cas du Hedge Fund, Melvin Capital Management, dirigé et fondé par Gabriel Plotkin en 2014. Il était auparavant l’un des traders les plus en vue du fonds spéculatif SAC Capital de Steve Cohen (désormais dénommé Point72 Asset Management).
Sa stratégie était de négocier principalement des valeurs de consommation discrétionnaire. En 2015, il génère un rendement de 47%. Pour citer quelques positions longues (c’est-à-dire une position à l’achat) : McDonald’s, Dollar Tree, Domino’s Pizza et Constella Brands. L’année 2017 a permis à Melvin Capital Management d’obtenir 41% de rendements nets de frais grâce à un positionnement sur des valeurs technologiques telles qu’Amazon, Visa, Alphabet, JD.COM.
En 2016, le fonds disposait de 1.87 milliard de dollars d’actifs sous gestion, et selon Business Insider, ce chiffre a presque doublé au cours des neuf premiers mois de 2017. Son portefeuille dénommé 13F était évalué à 11,06 milliards de dollars.
Melvin Capital est un fonds activiste. Ce type d’Hedge Fund a pour stratégie l’achat des actions d’entreprises pour prendre une participation au capital et tout mettre en œuvre pour modifier la stratégie de l’entreprise au profit des actionnaires. L’objectif est alors d’obtenir une amélioration du cours de bourse et en profiter pour maximiser les rendements.
Une armée de boursicoteurs présents sur le forum WallStreetBets, au courant de cette pratique, se réunit pour sauver l’action Gamestop, la maison mère de Micromania, et sanctionner ainsi le fonds. L’action a atteint +275% de sa valeur en une semaine. Melvin Capital pariant sur la baisse du titre via une vente à découvert s’est retrouvé avec de fortes moins-values. En effet, la perte est illimitée dans ce type de stratégie spéculative (dans le cas de l’affaire Gamestop, elle s’élève à 2.75 fois le montant investi). Ceci incite le Hedge Fund à racheter les actions à la perte. Cette attaque a forcé deux de ses homologues à venir à son secours pour injecter des liquidités et sauver le fonds de la banqueroute tant les actions GameStop ont flambé.
La chute des valeurs technologiques a eu raison des efforts du gérant qui s’était alors engagé à éviter toute opération de vente à découvert. La moitié des fonds investis a été retournée aux investisseurs le 31 mai, et Melvin Capital s’engage à ce que l’autre moitié soit rendue d’ici le 30 juin.
Le fonds, Melvin Capital Management, succombe donc aux attaques de particuliers et met la clef sous la porte.
Auteurs des articles : Yohann Derbyshire, Chloé Buewaert, Alexandre Simon & Romane Barbier.